Homélie pour le jour de commémoration des fidèles défunts

(Notre-Dame de Vincennes – 2 novembre 2018)

Frères et sœurs au lendemain de la Toussaint nous voici réunis dans la peine et l’espérance puisque nous prions pour nos défunts : ceux et celles que nous avons pu perdre au cours de l’année qui vient de s’écouler et d’une manière générale tous ceux qui sont morts dans nos familles, nos réseaux d’amitié, notre Église sans oublier les nombreuses victimes des guerres et du terrorisme.

Nous avons entendu trois passages de l’Écriture pour nourrir notre prière et aussi notre intelligence chrétienne de ce grand mystère qu’est la mort.

La tradition chrétienne en effet nous offre des ressources à travers la Parole de Dieu, la méditation traditionnelle qu’elle fait de l’Écriture Sainte et la liturgie qui nous fait toucher au mystère de la rencontre entre l’homme et Dieu.

Il me semble que les brefs extraits de la Bible que nous venons d’entendre nous propose trois enseignements:

Le premier est un propos de sagesse : les peuples depuis toujours et quelle que soit leur culture, leur religion, leur génie propre, développent tous une sagesse originale. On parle même de « sagesse des nations » voulant ainsi indiquer que ces sagesses peuvent se recouper et livrer un enseignement que tous peuvent entendre et admettre.

Le livre de la Sagesse (Sagesse 3,1-9) entièrement écrit en grec dans l’Ancien Testament est au croisement de la pensée philosophique grecque et de l’expérience biblique développée dans tout l’Ancien Testament. Lorsqu’il est question, comme dans le passage entendu il y a un instant, des « âmes des justes » nous sommes en plein dans cette réflexion croisée : les âmes sont ce principe immatériel qui exprime l’originalité et le caractère singulier de la personne humaine. S’il est un concept philosophique héritée de la grande tradition des grecs païens, c’est bien celui-ci. La Bible l’adopte pour faire saisir dans son anthropologie que Dieu nous aime comme notre Créateur dans toutes les dimensions de notre être : avec notre âme certes, mais aussi avec notre corps et notre intelligence. Les « justes », voilà une expression héritée de la pensée d’Israël : ce sont ceux qui ont vécu de la Loi de Dieu transmise par Moïse et sans cesse commentée pour être mieux reçue par le peuple de Dieu. Les « âmes des justes », ce sont ces personnes travaillées par le Seigneur, par sa Parole, par sa Loi d’amour, par ses commandements. Israël sait combien la personne humaine peut être fragile, inconstante, oublieuse de son Dieu et de son prochain par là même. Israël sait que l’être humain peut être tenté de se débrouiller par lui-même et devenir égoïste ou présomptueux ; pire encore violent. Mais, la sagesse du peuple de Dieu a aussi compris que dans les pires épreuves Dieu peut nous attendre et nous révéler à nous-mêmes, infiniment dignes, profonds, vrais : bref justes.

Pensons donc à nos défunts, à ceux qui, comme l’indique l’étymologie de ce mot latin défunts (defuncti) « ont accompli leur fonction », ont réalisé leur humanité, se sont essayés à aimer, à vivre en s’offrant à leur semblable. Notre prière pour eux, pratique immémoriale attestée dès la première Église où l’on n’hésitait pas à célébrer la messe sur la tombe des martyrs, est non seulement communion à leur personne, mais aussi intercession, c’est-à-dire acte d’amour envers eux, offrande humble de notre prière à Dieu :

« Accueille-les Seigneur en ta présence. Purifie-les de tout péché. Que leurs âmes reposent en Toi jusqu’au dernier jour quand Tu viendras pour rassembler l’humanité entière, pour nous relever de la poussière et nous faire paraître dans ta grande lumière celle qui dévoile tout, celle qui éclaire tout. »

Le second enseignement est un propos théologique précisément parce qu’il nous parle de Dieu. Non pas à la sauvette mais de manière déterminée. Parfois on entend dire : de toute façon, nous ne voyons rien de Dieu, nous ne savons rien de son attitude à notre égard et comme il nous semble que les flammes de l’enfer n’ont rien d’effrayant, que le purgatoire est une invention alors que nous savons d’expérience que certaines quarantaines ou sas de décompression sont fort utiles, nous décidons que nous n’avons rien à dire sur l’au-delà. Nous serions ainsi condamnés à vivre dans un perpétuel instant sans lendemain alors que notre intelligence et notre cœur nous invitent bien plutôt à dépasser le fameux cri désespéré : « Mangeons et buvons car demain nous mourrons ! »

Le passage de l’Evangile (Luc 12,35-40) que nous avons entendu nous dit pourtant clairement que le Christ serviteur de l’humanité viendra à notre rencontre –tout le Nouveau Testament l’atteste- et qu’Il servira l’humanité entière –à commencer par ses disciples fidèles- car eux-mêmes auront gardé leur ceinture à la main –emblème de leur service- et veillé activement comme on veille un malade, comme on met en place une cellule de veille, comme on veille un jeune enfant car c’est beau et apaisant un enfant qui dort. Le Christ viendra pour une ultime rencontre avec chacun comme dans le temps de la foi. Il viendra aussi pour tous car nous partageons tous la même humanité qu’Il est déjà venu embrasser et qu’Il ne saurait abandonner.

Le troisième enseignement est une attitude spirituelle à cultiver :

Ne rêvons pas que nous sommes souverains : nous sommes dans les mains de Dieu comme dans celle d’un sculpteur qui nous a créés par amour et qui veut achever son œuvre avec notre consentement pourvu que nous lui donnions notre foi-confiance.

Accueillons la lumière de Dieu : la lumière de sa Parole : « Ta parole est la lumière de mes pas, la lampe de ma route » dit le psaume 118 (verset 105). Cette lumière nous est précieuse pour ne pas sombrer dans les ténèbres épaisses du doute ou de la méchanceté. Cette lumière nous a été remise à notre baptême, ne l’oublions pas. Ne la cachons pas. Ne perdons pas les ressources de notre foi ; au contraire qu’elle se transforme en espérance pour tous.

Ne nous lassons pas de servir ceux qui sont notre pain quotidien : notre sourire, notre ouverture, notre parole d’encouragement ne sont pas vains. Cet ordinaire n’est pas sans relief car c’est précisément là que le Seigneur viendra nous chercher pour récapituler en Lui tous ces gestes d’amour de charité. C’est précisément là que le Seigneur est présent déjà. La parabole du jugement dernier qui orne le tympan de bien des cathédrales et basiliques est la parabole du service : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger ; j’étais nu ou malade et vous m’avez visité… » (cf. Matthieu 25,35-36). Le Christ rayonnant dans la gloire n’est pas que pour demain. Il se révèle à l’humanité dès maintenant sous le visage de l’autre dans tous ses états.

Et si maintenant nous pensions quelques instants à nos défunts sous ce triple angle de méditation :

Ont-ils accepté de se laisser toucher par des mains fraternelles ? Les ont-ils saisies ? Que gardons-nous de leur passage comme un toucher affectueux qui nous dit la bonté de Dieu ?

Ont-ils partagé avec nous de belles paroles de celles qui enseignent, qui consolent et qui ne sont pas vaines comme celles de notre Dieu ? Et maintenant que nous avons entendu la Parole de Dieu, ne nous révèle-t-elle pas combien ces paroles humaines peuvent nous conduire à Lui ?
Ont-ils servi leur famille, leurs proches ? Si nous le savons bien, soyons-leur fidèles. S’il y a quelques ombres au tableau, ne les jugeons pas. Laissons Dieu faire car Il sait de quoi nous sommes faits et son jugement est objectif et miséricordieux.

Prenons maintenant un instant personnel pour laisser défiler dans notre mémoire ces visages aimés et mieux les remettre ensuite au Seigneur dans l’offrande eucharistique.

Amen.

Père Stéphane AULARD