Homélie pour le dimanche de l’unité des Chrétiens

(Temple de l’Eglise réformée de Vincennes – 20 janvier 2019)

Lectures bibliques :
– Isaïe 62,1-5,
– 1 Corinthiens 12,4-11,
– Jean 2,1-11.

Chers amis, chers frères et sœurs,

Merci de me donner l’occasion cette année encore de venir prêcher ici au temple de l’Église protestante unie de France (EPUDF) qui est à Vincennes.

J’aimerais simplement rappeler combien j’ai été heureux depuis quatre ans d’avoir l’occasion de travailler régulièrement avec le Pasteur Patrick CHONG que je tiens à saluer ainsi qu’avec vous, Mme PUJOL qui êtes présidente du conseil presbytéral de cette paroisse.

La Parole de Dieu nous rassemble puisque nous partageons un même lectionnaire dominical.

1-Le passage de l’évangile selon Saint Jean qui est proposé à notre écoute et à notre méditation aujourd’hui constitue le premier signe accompli par Jésus dans cet évangile qui en compte sept –chiffre hautement symbolique indiquant tout à la fois un rythme et une perfection : l’ultime signe en Jean 11 étant la résurrection de Lazare alors que la passion et la mort de Jésus sont proches mais apparaissent bien (cf. le verset 11 du passage des noces de Cana que nous venons d’entendre)- comme le moment où la « gloire » de Jésus va être enfin manifestée. La gloire de la croix, l’heure de la croix comme acte suprême du Christ livré à l’humanité.

Dans la tradition la plus ancienne que les catholiques comme les chrétiens orientaux aiment déployer notamment dans la liturgie, les noces de Cana comme auparavant l’Épiphanie du Seigneur puis son baptême forment un triptyque après la Nativité donnant à voir la manifestation du Seigneur comme le Fils unique du Père initiant son ministère de présence, de don et de salut. Ces trois scènes sont inaugurales chacune à leur manière mais énoncent clairement combien le petit enfant de Bethléem non seulement est déjà grand puisqu’en la personne des mages c’est le monde qui vient à Lui. Mais, surtout combien sa vie publique exprime son identité profonde et sa mission qui est d’unir l’humanité à Dieu en la faisant entrer dans l’Alliance :

❖ Jésus dans son Épiphanie manifeste combien Il est venu pour tous les hommes et pas seulement pour Israël.
❖ Lors de son baptême par Jean-Baptiste il nous invite à devenir fils et filles bien-aimés du Père à sa suite.
❖ Aux noces de Cana enfin, Il se donne à voir comme le véritable époux venant s’unir à son peuple et c’est l’image du projet divin sur le monde : que l’humanité rassemblée par Jésus Christ s’unisse telle une épouse avec son époux et qu’ainsi la communion, l’unité, advienne.

En fin de compte, entendre le récit tellement symbolique des noces de Cana à l’occasion de cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens est réellement une grâce puisque nous saisissons combien cette unité n’est pas d’abord notre projet après des siècles de divisions et d’ignorance mutuelle. L’unité est le rêve de Dieu, son projet depuis toujours car le mystère du Dieu trinitaire est un mystère de communion et le lien que Dieu veut donc établir dans la surabondance de son amour avec l’humanité est précisément celui de la communion.

2-Un personnage dans la scène de Cana apparaît comme décisif aussi bien pour les disciples spectateurs et les serviteurs de la noce que pour Jésus Lui-même c’est la « mère de Jésus ». Vous avez remarqué que Jean ne précise pas le nom de la mère de Jésus pas plus que Paul dans la lettre aux Galates (Ga 4,4) : « Dieu a envoyé son fils, né d’une femme… » Ici, toutefois Marie -dont le nom est tu- apparaît en première place : « La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples. » (Jn 2,1). Cela n’assure pas à Marie, me direz-vous, un statut iconique de première importance pour autant. Toutefois, il est bon de souligner que la « mère » a sa place et précisément comme celle qui enfante son fils et la suite du texte confirme cela puisque Marie en déclarant aux serviteurs de la noce : « Tout ce qu’Il vous dira faites-le » ne dit pas une banalité. Au contraire, il me semble qu’elle apparaît ici non seulement comme la mère qui intuitivement sait que son fils a une mission d’importance à accomplir, mais encore elle invite les spectateurs de la scène à écouter Jésus, à se rassasier de sa parole qui est gage de réussite non seulement de la fête humaine des noces dans ce village de Cana, mais aussi des noces de Jésus qu’elle comprend comme le Messie annoncé qui doit s’unir à l’humanité pour que l’Alliance soit totalement accomplie.

Les catholiques n’ont pas à prier Marie ou à en faire une déesse mère comme dans beaucoup de mythologies anciennes, mais ils aiment se souvenir de cet ultime acte d’enfantement après la parole de Jésus qui pourrait paraître quelque peu irrespectueuse. Lorsque Jésus dit : « Femme que me veux-tu, mon heure n’est pas encore venue », ne doit-on pas comprendre qu’Il se révèle comme Celui qui est déjà tout entier aux « affaires de son Père » (cf. Luc 2,49) alors qu’Il va démarrer son ministère de prédication et de salut ? Cette parole rude voudrait donc couper court tout écart qui pourrait éloigner le Fils de sa mission salvatrice qui n’est pas vraiment encore commencée.

Pourtant, dans ce bref échange, il me semble que nous pouvons reconnaître justement ce qui va mettre en route la prédication du Christ et l’œuvre du salut qu’Il accomplira. Marie a ainsi parachevé son enfantement et désormais c’est au Fils de Dieu de se révéler pleinement comme Celui qui dit toujours ce qu’Il fait et qui fait toujours ce qu’Il dit. Oui sa parole est efficace ; elle ne se paye pas de mot. L’époux d’Israël, le Seigneur, a toujours été ainsi et désormais en Jésus Il est pleinement manifesté et Il nous invite nous aussi à faire ce qu’Il dit puisque Lui le premier a eu une parole efficace.

3-Cana, c’est donc la réussite de l’œuvre de Dieu qui nous permet de croire qu’il est possible de poursuivre cette œuvre. N’est-ce pas, frères et sœurs, notre mission ? Poursuivre l’œuvre de Dieu d’âge en âge sous le signe de la présence active aux côtés de nos frères en humanité ? Le signe de Cana est une invitation à répandre le vin des noces de Dieu avec son peuple jusqu’à la fin des temps ? Qu’est-ce que ce vin si ce n’est le sang de l’Alliance, celui du Christ ? C’est le signe eucharistique mais c’est aussi le signe de nos engagements aux côtés de ceux et celles qui peinent ou qui construisent patiemment la civilisation de l’amour. Ce qui est réjouissant ici à Vincennes c’est qu’au-delà de nos séparations historiques, nous travaillons déjà –et cela ne date pas d’aujourd’hui- main dans la main dans nos associations œcuméniques d’entraide et de partage pour que la misère recule, pour que des personnes se relèvent. Je suis témoin de cela et j’en rends véritablement grâce au Seigneur.

Amen.

Père Stéphane AULARD