HOMÉLIE DE PÂQUES 2020

HOMÉLIE DE PÂQUES 2020

On avait pu croire que l’année 2020 serait une année 20 sur 20. Mais, ça c’était avant… Il n’y a pourtant pas si longtemps.
Nous étions peut-être légers, insouciants, en plein « divertissement » comme aurait pu le dire Blaise Pascal au XVIIème siècle dans une époque où pourtant les épidémies existaient et ne se résolvaient pas « comme ça » du jour au lendemain. Cela ne l’empêchait pas d’inviter ceux auxquels il voulait proposer une « apologie de la religion chrétienne » à ne pas être mondains, mais plutôt à laisser la grâce de Dieu les toucher, les enflammer pour que leur vie soit transformée ! et que cela devienne pour eux un « mémorial »
Au cœur de cette veillée pascale que vous vivez beaucoup confinés dans votre maison, voici que quelques prêtres et un diacre –comme beaucoup d’autres- viennent vous rejoindre à domicile. Nous sommes un peu comme les pères de famille présidant le seder de la Pâque juive à la maison. Nous n’entendrons certes pas les questions que vous voudriez nous poser comme dans le rituel de Pessah. Pourtant, nous les pressentons :
• Qu’est-ce que nous célébrons ce soir nous autres disciples du Crucifié ressuscité ?
• Qu’est-ce que cette veillée nocturne avec ce flot de lectures extraites de l’Ancien Testament ?
• Qu’est-ce que cette flamme de ce cierge gigantesque placé dans le chœur de l’église entre l’ambon de la Parole de Dieu et l’autel ?
• Ce rituel des cloches de Pâques n’est-il qu’anecdotique ?
Cette homélie n’est pas une catéchèse mais peut-être voudrait-elle vous entraîner sur un chemin de réponses que vous pourrez chercher à compléter si votre appétit spirituel a été aiguisé !
Frères et sœurs, j’aimerais vous dire trois choses ce soir ; c’est en somme ma méditation de Pâques :
1-Les grandes conversions sont nocturnes. Les grandes musiques sont nocturnes (écoutez les Nocturnes de Chopin, les requiem de Mozart, Brahms, Mendelssohn, Fauré…). La nuit, nous l’avions oublié, n’est pas que l’invitation à la fête déjantée et sans but. La nuit est souvent signe de désarroi, d’angoisses extrêmement fortes, métaphysiques. Nos grands poètes, nos grands mystiques ont fait l’expérience de la nuit dans laquelle Dieu semble absent, et où nous-mêmes sommes désorientés. Ça ne sert à rien de le nier et de croire à un monde tellement calme qu’il n’est qu’ennui. Et si l’ennui désignait finalement un peu notre époque toujours insatisfaite ! Frères et sœurs, je ne suis pas en train de vous dire que plus c’est dur, mieux c’est. Je suis en train comme vous de découvrir que dans la nuit, dans le noir, dans l’épreuve nous sommes ramenés à l’essentiel : n’est-ce pas l’expérience d’Abraham et d’Isaac au bord du sacrifice humain qui aurait pu être compris comme la satisfaction divine et la preuve de l’attachement humain à son Dieu ? N’est-ce pas l’expérience d’Israël dans la nuit pascale comme dans l’épreuve de l’Exil : ne pas y voir clair, être obligé de faire confiance sans connaître de quoi sera fait demain, accepter d’être conduit sans connaître le chemin ? Que c’est dur d’expérimenter cela pour nous qui sommes habitués à nous en remettre ni aux étoiles ou au soleil, ni aux cartes de géographie, ni à l’expérience mais au GPS… Et la nuit de la crucifixion ? L’Evangile ne nous rapporte-t-il pas qu’au moment de la mort du Christ ce fut la nuit sur la terre ? (cf. Matthieu 27,45) Avant de réciter les paroles du psaume 30(31), verset 6 (« Entre tes mains Seigneur, je remets mon esprit ») sans doute faut-il être passé par celles du psaume 21(22), verset 1 ( « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » !) Certains d’entre nous en sont au psaume 21 pendant que d’autres ont déjà atteint le psaume 30. Nous le savons -et les évangiles le soulignent- la résurrection du Christ se passe de nuit et c’est « au point du jour » (Matthieu 28,1), le premier jour de la semaine, le dimanche –sunday-, jour de la lumière, jour « un » de la Création définitivement renouvelée que les saintes femmes entendirent la nouvelle de la résurrection du Seigneur dont elles devinrent des hérauts ! Elles n’en seront jamais assez remerciées ! La tradition chrétienne nous dit que jusque dans la mort et l’expérience du tombeau le Seigneur est allé au plus profond dans les ténèbres de l’Hadès, au royaume des mort, sous terre, chercher l’humanité blessée par le péché originel et soumise à la loi de la mort pour la faire remonter de ces ténèbres et ainsi participer à sa résurrection.
2-C’est ma deuxième remarque : Pâques, Pessah –nos frères aînés les Juifs vivent cette semaine la Pâque commémorant la sortie et la libération d’Egypte- est un passage. En effet, si l’accès à la lumière ne se fait pas sans avoir découvert sa propre nuit, il n’empêche que la résurrection est bien l’irruption de la lumière que les apôtres avaient d’ailleurs déjà entrevue à la Transfiguration (cf. Marc 9,9-10). Pâques est un dynamisme, Pâques est une sortie, un passage ; Pâques est donc un accès à l’autre rive, l’au-delà de nos existences. En ces temps de confinement qui peuvent être synonymes de repli sur nous-mêmes comme dans un « finistère », un confin de notre géographie humaine, la nouvelle de la résurrection est nouvelle que « rien n’est fini pour Dieu », tout est toujours en travail et même embourbés dans des chemins qui semblent ne mener nulle part, Dieu continue d’écrire droit dans les courbures, les plis et replis de nos existences. C’est précisément l’expérience que font souvent les catéchumènes d’avoir été rattrapés, découverts par Dieu lui-même dans une rencontre humaine inédite : un deuil, une souffrance qui fait réfléchir et qui transforme, une expérience vitale comme l’amour ou la naissance, un pardon enfin possible. Quels passages avons-nous à faire frères et sœurs en cette période si étrange que nous vivons cette année ? Quelle situations bloquées, bouclées nous enferment ? Et si nous saisissions, comme Saint Pierre le fit, la main de Celui qui ne peut que répondre à notre appel dans la nuit : « Seigneur ordonne-moi de venir jusqu’à toi ! » (cf. Matthieu 14,28) Sachez-le : Il est tout près de vous, de toi, de moi ce passeur, le Christ ressuscité reconnu par Saint Jean dans l’Apocalypse : « Je me tiens à la porte et je frappe. Si tu m’ouvres ton cœur, j viendrai et je ferai chez toi ma demeure ! » (cf. Apocalypse 3,20)
3-Que dire de plus si ce n’est –allez, j’ose- : « Ils sont fous ces chrétiens ! » Ils sont fous de croire que la mort a été terrassée ! Ils sont fous de mettre leur espérance dans une figure si sublime soit-elle comme le Christ alors que l’on attend surtout le remède miracle qui nous fera retrouver la vie d’auparavant ! Ils sont fous de chanter alléluia pendant que des dizaines de familles sont en deuil et ne peuvent que pleurer !
Eh bien oui, ils sont fous ! Mais cette folie douce, forte et puissante en a dynamisé des personnes depuis 2000 ans et l’espérance n’est pas près de s’arrêter. Oui, la folie de Dieu nous permet de croire que rien n’est jamais fini, que tout a un sens, que l’au-delà de notre vie implique notre profond intérêt pour ici-bas de notre existence. Tout cela est pour aujourd’hui, avec la grâce de Dieu, le souffle de l’Esprit Saint qui nous anime, qui peut nous réveiller de nos torpeurs et de notre tranquillité précédente. La résurrection en marche, c’est le dynamisme de Dieu qui nous fait lire les événements que nous vivons certes comme quelque chose de tragique mais pas comme un drame absolu : regardez ceux qui travaillent au service des autres et dont à juste titre nous célébrons les mérites ! Regardez les innovations dont nous sommes capables en bien des secteurs de la vie sociale pour ne pas perdre le lien. Regardez ce que nos paroisses vous offrent pour nourrir votre vie spirituelle ! Certes, vous n’avez pas accès aux sacrements de l’Eglise et vous les désirez. Alors, frères et sœurs, vivez une vraie communion de désir ! Approfondissez votre lien personnel au Christ ressuscité durant la cinquantaine pascale qui va nous conduire à la Pentecôte ! Affichez vos couleurs chrétiennes comme vous avez commencé à le faire, beaucoup d’entre vous, aux Rameaux.
Eh bien maintenant passez à Pâques et ingéniez-vous à faire retentir la bonne nouvelle pascale celle qui nous fait chanter malgré tout : Alléluia, Amen !

Père Stéphane AULARD